Promenade Nocturne [Ouvert à tous]

Les nuages s'écartèrent, laissant la lueur de la lune devenir maîtresse du Monde. La place San Marco devint blafârde et un silence de plomb tomba sur les cieux. Tout était inquiétant, froid et macabre en cette nuit hivernale et seule une ombre trahissait la présence de Vie sur les pavés glacials. Sous une grande cape améthyste l'ombre avançait. Beaucoup auraient pu croire que cette grande silhouette était celle de Samara mais une forme incongrue sous la capuche empêchait cette supposition. En effet, un gros croissant semblait avoir été englouti sous les vêtements, formant un casque peu commun sur la tête de la dame. En toutes circonstances elle était coiffée de la même manière, comme la signature inébranlable de ceux qui aiment à faire savoir qui ils sont même quand ils veulent passer inaperçu. Vous l'aurez bien deviné, cette ombre évoluant sur les pavés de glace n'était autre que la Maîtresse de l'Orgueil Ylania Von Holleinstein Bifield.
Elle glissait avec précautions sur la patinoire impitoyable tout en espérant ne pas choir. La lune la fixait de ses rondes moqueuses tout en attendant un moment critique. Elle ne bougeait pas, ne bruissait pas... Elle attendait. Ylania ne se laissa pas déconcentrer. Elle continuait sa route et finit par s'arrêter en face d'une autre ombre tapie sous les arcades du Palais des Doges.

L'Orgueilleuse souffla, et un long filet de fumée sortit de sa gorge et s'élevait en volutes blanchâtre dans les airs. Elle regardait sceptique l'ombre comme un prédateur fixe sa proie, pourtant ce n'était pas une proie qui se trouvait devant elle mais bel et bien une personne avec qui elle avait de sinistres entretiens. Ils n'étaient que deux sur la place et ils se dévisageaient comme à chaque fois. Ylania finit par sortir de sa longue cape un miroir dans lequel elle mira la lune. Cette dernière semblait maintenant regarder ailleurs. Ce soir le Démon n'était pas risible. Cette image tira un sourire satisfait des lèvres de l'Orgueilleuse qui se redressa, fière d'elle-même. Celà faisait maintenant cinquante années qu'elle errait dans Venise et elle se disait avec fierté qu'enfin elle était parvenue à maîtriser parfaitement les pièges hivernaux de la ville. La poitrine gonflée d'orgueil et les gestes sûrs elle se hasarda à faire un pas de plus, un pas de trop, un pas qui ne la ferait pas avancer dans le sens initial voulu.

La chute ne fut pas brutale, mais vraiment ridicule. La lune gloussait silencieusement et se félicitait d'avoir à temps recentré son regard sur Ylania. L'Orgueil et la Dignité ne sont malheureusement pas complémentaires mais qu'importe ! Il valait mieux selon la demoiselle Von Holleinstein Bifield être indigne et puissante qu'être digne et sans le moindre pouvoir. Elle ne se releva pas et resta ainsi étendue, les yeux rivés sur le sommet du Campanile dans la même position que cette nuit de l'année 1700 où elle avait pour la première fois mis les pieds dans les lieux. Ainsi positionnée elle ressemblait à un ange crucifié, à un être infiniment pieux amoureux de la miséricordieuse Bible. L'ombre qui l'attendait se découpa des arcades immaculées avant de se pencher sur l'Orgueilleuse. Cette dernière ne bougea pas d'un poil et résignée prit la parole:

-Je pense que je vais rester là durant notre entretien, celà me permettra de réfléchir sur ma situation.

Son interlocuteur ne bougeait pas d'un pouce, qui donc pouvait-être cette ombre ?

La lune ne fut pas la seule à pouffer en silence d'une chute à ce point bouffonne, qu'elle en devenait artistique ; et au contraire de la Dame Laiteuse, le visage du second spectateur était quant à lui plongé dans l'ombre où son sourire épanoui n'était pas perceptible. Comme les hauts cols des manteaux s'accordaient bien aux surplombs des bâtiments ! Il aurait vraiment fallu être d'une maladresse maladive pour que la pâle lumière de la lune arrive à dévoiler les traits des visages des noctambules de la Sérénissimes, qui par ailleurs s'en accommodaient fort bien. À une exception près, semblait-il.

Vanité semblait avoir perdu son miroir en même temps que son équilibre… Son pas à lui était sûr sur la glace tandis qu'il se décidait enfin à bouger pour aller, ramasser l'objet délicatement travaillé, mais les crissements du verglas sous ses semelles témoignaient à leur manière qu'il n'avait nullement à s'en enorgueillir : la majorité des vénitiens portaient des chaussures, des bottes ou des sabots cloutés, et il en avait naturellement vu les atouts très vite. Bien sûr élégance et pragmatisme ne vont pas toujours très bien ensemble, au point qu'on aurait presque pu admirer un instant l'Orgueilleuse d'avoir tenu si longtemps en position verticale avec les jolies mais gênantes chaussures qu'elle portait. Presque…

Lacryma n'avait pas compté sortir des activités qu'il s'était fixées pour cette-nuit-là, entre autres, récupérer les effluves de la foule qui s'était massée sur la place durant la journée. Il y en avait si peu à chaque fois, la tâche nécessitait d'être souventefois répétée. Et comme à chaque fois depuis quelques temps il observait à distance le Démon qui se cachait sous les charmants traits d'une aristocrate. Jusqu'à cette nuit. Comme quoi il n'était définitivement pas de ceux qui se tiennent ad vitam aeternam à leurs décisions, lesquelles avaient été d'éviter, autant que faire se pouvait, de rencontrer démons ou anges conscients, voire même de communiquer avec qui que ce soit pendant la nuit qui ne fasse partie de ses Masques. Désormais accroupi à quelques centimètres des mèches violettes de la Prétentieuse, il ne détailla qu'un court instant le reflet du ciel sur l'étain policé, écartant un instant les pans de son ample habit pour ne pas qu'ils tombent sur la tête si étrangement coiffée, avant de tendre le miroir vers sa propriétaire, glace tournée vers son visage.

Notre entretien ? Flatté de constater que vous me faites l'honneur de m'en accorder un, ma Dame et en des lieux si… fastueux.

Quelques notes de malice cachées dans un ton sage, presque sérieux.

J'ose espérer cependant que vous ne comptez pas qu'il s'éternise, votre coiffure pourrait ne pas apprécier l'humidité de la glace ni votre toilette les saletés charriées aujourd'hui par les chaussures des passants.

Et d'autres de curiosité amusée noyées dans un ton cette fois réfléchi. Pas de références à l'allusion de la réflexion au sujet d'une situation burlesque. Sujet sûrement au moins aussi glissant que le verglas.
Etait-ce pour la piquer ? Il se releva alors de toute sa hauteur pour la toiser, la position de sa tête courbée vers elle ne laissant toujours pas la lumière blafarde révéler son visage.

Eh bien…, ma Dame. De quoi voulez-vous que nous parlions ?

Ylania Von Holleinstein Bifield… Il connaissait de nombreux gamins qui auraient adorer voir cette chute… et beaucoup d'adultes qui l'auraient probablement parié sous le manteau en la voyant glisser sur cette patinoire. Et les mêmes auraient mieux fait de ne pas trop en rire la nuit…

Ylania entendit que l'ombre s'approchait et ne bougea pas un cil, écoutant la voix masculine qui bourdonnait dans son esprit avec délice. Malgré ses cervicales endolories elle se décida à tourner la tête sur le côté découvrant avec joie son reflet lancé comme un espoir à ses yeux par le biais de son miroir d'amour. Elle releva lentement son dos de la glace sans quitter son reflet des yeux avec une expression d'être hypnotisé attendant un ordre de la part de l'objet de ses tentations. Elle finit par le toucher de sa main blanche et s'empara avec empressement du miroir qu'elle essuya du revers de sa manche avant de le remettre rapidemment sous sa cape. Elle avait eu de la chance, l'objet n'avait pas eu la moindre brèche. La prochaine fois elle donnerait des entretiens dans son palais personnel quand l'impitoyable gel déciderait de nuire à ses entreprises. Sans aucune gêne l'Orgueilleuse s'accrocha lourdement à son interlocuteur pour se hisser à sa hauteur se promettant qu'elle ne tomberait plus, du moins, pas cette nuit. La lune avait cessé de ricaner et le Campanile menaçant ne s'inquiétait maintenant plus de savoir si Ylania s'était blessée. La nuit avait repris ses droits sur le lieu laissant l'hiver s'engouffrer glacial entre les dalles déjà givrées. Bien entendu elle ne regrettait pas d'avoir pu ainsi se relever avec tant d'aisance car elle savait pertinement que sa peau pouvait rester lamentablement collée à la substance surgelée... Peut-être en avait-elle d'ailleurs déjà fait la piètre expérience ?

-Non, ne vous en faites pas, l'entretien sera court et... Comment ? Le page ne vous a pas fait part de ma requête ?

La grande dame eut un moment de silence. Bien entendu, si l'homme savait qu'Ylania était venue seulement pour faire changer un anneau de plomb en anneau d'or il était fort peu probable que l'homme soit venu au rendez-vous. Des demandes similaires il devait en avoir en grand nombre et ce quotidiennement... Seulement cette fois ci c'était important. Restait à savoir si la pierre philosophale avait été trouvée... Il ne faisait nul doute qu'elle se trouva en ce moment même dans Venise, trahie par la présence de tant d'alchimistes dans le coin. Ylania, si elle savait avoir affaire à un alchimiste n'avait aucune connaissance quand à l'importance de son rôle dans cette communauté.

-Si vous le permettez, j'aimerais que l'on parle affaire... J'entends des bruits non loin, peut-être aurions nous la chance de voir le café Florian encore ouvert à cette heure tardive ? Je pense que ce serait un endroit plus... approprié.

Les hommes étaient plus détendus avec l'alcool, elle ne le savait que trop bien ainsi donc espérait-elle en son for intérieur que l'homme ne refuse pas son invitation. sa main dissimulée sous sa cape tenait fermement l'anneau dans sa main avec espoir. Le bijou était un cadeau de plusieurs millénaires qu'un jour Lucifer lui avait envoyé en travers de la figure pour la remercier de ses services. Le geste avait été certes brutal, mais le cadeau était pour elle une fierté, car peu avaient une fois reçu le moindre présent du Haut Chef quelque soit la manière -douloureuse ou pas- qu'il soit expédié. Il était mal vu cependant selon Ylania de porter un vulgaire morceau de plomb quand on avait une apparence parfaite et une allure irréprochable. De plus, un anneau en or lui vaudrait sans doute l'adulation de quelques membres pauvres avarices et ce pour son plus grand bonheur. Pour la gourmandise elle pensait plus tard faire pendre de véritables croissant le long de sa tortueuse coiffure sans penser qu'ils attireraient par la même occasion les pigeons de la place San Marco...

Si Venise était la Cité-Mère des Masques, Lacryma était un digne citoyen vénitien, n'ayant guère besoin de marqueterie, plumes, perles ou autres flonflons pour jouer à la mascarade. Le zanni Mascarilla aurait pu être son rôle de ce soir, n'ayant pas l'air de se formaliser de la manière que la dame avait de s'appuyer sur lui, l'aidant même à se remettre promptement sur pied… presque cavalièrement ? Qu'on le prenne de toute évidence pour un autre convenait à son humeur du moment, mais aussi à sa curiosité. Il ignorait qui le page était supposé aller chercher, mais si le valet pouvait s'être noyé dans les breuvages d'une taverne en allant porter son message, cela lui convenait. Le destinataire ne viendrait pas interrompre une conversation qui pourrait se révéler instructive, en particulier concernant ce destinataire justement.

Il étouffa un rire moqueur à la proposition.

Je doute qu'il soit encore ouvert à cette heure. Et quand bien même le serait-il, il est peu probable qu'on me laisse y entrer.

D'un geste léger, presque nonchalant, il indiqua sa mise d'une facture qui n'était d'évidence pas destinée aux palais, mais définitivement aux ruelles sombres, aux bottes plus habituées aux pierres sales et aux filets d'eau boueuse plutôt qu'au tapis des salons.

Quant aux autres lieux encore fréquentés, êtes-vous certaine que ce soit réellement la place d'une Dame de votre rang de côtoyer leur faune habituelle ? Sans compter que si l'on peut y faire des affaires, celles-ci seront le sujet de bien des conversations demain.

Comme il était bien placé pour le savoir… Le bouche-à-oreille ayant pour origine les innombrables tavernes était l'une de ses meilleures sources d'informations sur les évolutions de la Sérénissime, à lui comme à d'autres d'ailleurs.
A son tour, il ne poursuivit qu'après un court silence.

Je puis naturellement me tromper, mais j'aurais pensé qu'une affaire nocturne ne souffrait aucune indiscrétion… Allons, droit au but ma Dame ! Quel meilleur endroit que cette patinoire pour me faire part de vos besoins ? Un importun y sera démasqué bien plus vite qu'en tout autre endroit.

Oh il serait bien malhonnête de prétendre qu'il n'abusait pas de la situation. Mais il lui plaisait d'être bien campé sur ses jambes quand son charmant vis-à-vis lui devait encore d'avoir pu se relever des dalles verglacées qui l'avaient si chaleureusement accueillie un peu plus tôt.

Le froid mordant lui plaisait plus qu'il ne le gênait, pourtant, sans avoir lu dans les pensées de Miss Orgueil, il sortit une flasque de sous sa propre cape, imitant par habitude le tic qu'il avait si souvent vu durant l'hiver : ces hommes qui pour se réchauffer avalaient à coup sec une bonne lampée d'alcool fort. L'alcool en lui-même ne lui faisait plus beaucoup d'effet, il en avait, comme beaucoup d'autres choses dont il s'était progressivement et finalement désintéressé, bien trop abusé fut un temps pour y succomber encore. En fait, il avait appris à apprécier la chaleur brûlante coulant jusque dans son estomac, le contraste du froid au-dehors, du chaud en-dedans… La sensation était tellement différente dans un corps humain que dans le sien propre. Bien entendu maintenant elle était encore différente que quelques siècles plutôt, mais puisqu'il ne pouvait profiter chaque soir de la douce chaleur de la liqueur pourpre qui faisait la vitalité des habitants de Venise… Inclinant le contenant vers la Von Holleinstein, il lui en proposa silencieusement, curieux là encore de la manière dont elle réagirait.
Curiosité secondaire cependant, il sentait que les choses allaient s'accélérant dans la ville où il avait élu domicile et ses connaissances au sujet des aléas qui la secouait commençaient de lui paraître insuffisantes.

Dépitée, Ylania se dit qu'elle était maudite toute démon qu'elle était et qu'on la condamnait à rester ainsi immobile au milieu d'une patinoire à discuter avec un homme qu'elle ne connaissait pas. Elle fit un sourire poli, mais gêné et se résigna. Il n'avait pas tort, le café n'était pas le meilleur endroit donné pour la discrétion mais au moins le sol n'était pas glissant et la lune ne pouvait pas la voir. De plus, la feme pouvait acheter le silence de l'homme et elle pardonnait bien entendu Lacryma de l'ignorer. Elle resta ainsi en équilibre au milieu de la glace tout en prenant appui avec ses talons. Il ne fallait pas qu'elle bouge d'un pouce sans quoi il n'était pas sûr que sa peau échappe à un affreux hématome. Lentement elle sortit l'anneau de sa cape et le présenta à son interlocuteur avant de le regarder avec hésitation. Il y avait bien peu de chance pour que l'alchimiste puisse faire suite à sa demande mais qui ne tente rien ne se retrouve malheureusement avec pas grand chose. Elle regarda avec méfiance autour d'elle, scrutant les yeux d'un chat qui les regardait avec curiosité. L'animal semblait aussi hésiter, mais pour tout autre chose. Se risquerait-il oui ou non à traverser la place ?
Elle allait parler quand avec étonnement elle vit de l'alcool brandi devant ses yeux. Elle s'empara de la bouteille et en prit quelques gorgées goûlument. Il fallait bien entendu qu'elle se donne des forces et se préparer à formuler sa demande qui pourrait être autant pertinante que ridicule. Le liquide était fort et les yeux d'Ylania ne tardèrent pas à pleurer. Elle sourit pour faire croire que tout allait bien et son visage ainsi crispé était au fond tout mignon. La Dame prit son inspiration:

-Si vous avez le pouvoir de changer cet objet en or je mettrais le prix, qu'importe son montant.

Lacryma avait demandé qu'elle aille droit au but, elle l'avait écouté et n'avait pas contourné. Voilà, c'était posé et maintenant impossible de retourner en arrière. Il ne lui restait plus qu'à attendre la moindre réaction de son interlocuteur.
Elle repensa soudain avec amusement du jour où on lui avait parlé de l'existence de la pierre philosophale. Les légendes lui disaient qu'elle était de couleur verte et avait soupçonné Asphodelle de la posséder. Bien entendu, l'homme se baladait toujours avec une amulette verte et elle fit tout pour la posséder afin de changer son anneau en or. Peine perdue. Belzebuth la réprimanda, elle se souvenait d'ailleurs encore de ses paroles: "Ylania ! N'embêtes pas la caste de la luxure s'il te plait et retourne à ton miroir !". Cette phrase avait profondément blessé l'orgueilleuse qui se promit de se venger. Bien entendu la vengeance n'était pas trouvée mais tout n'était question que de quelques siècles.
Elle se souvint aussi de sa première rencontre avec un alchimiste. L'ayant pris pour un sorcier elle lui avait demandé de transformer son paon en cheval afin qu'elle puisse se déplacer avec. L'alchimiste avait ri et l'oiseau avait boudé. Il était toujours un paon et était très fier de sa situation car tout le monde sait bien qu'un cheval ne peut pas faire la roue. Quelques siècles plus tard il voudra bien cependant devenir une Porshe mais ceci est une autre histoire.

Ylania regardait donc son interlocuteur en espérant de tout son être que sa demande puisse être prise en compte. Dans le cas contraire elle serait obligée de retourner patiner le lendemain avec quelqu'un d'autre.

-Si cependant vous ne pouvez pas... Vous ne vendriez pas des chaussures cloutées à ma taille ?

Bien entendu, si il faudrait qu'elle revienne le lendemain elle viendrait mais cette fois-ci elle serait équipée !

L'air qui siffla entre ses dents serrées n'aurait pu mieux traduire ce qu'il pensait de la proposition qu'on lui faisait. Et de lui jeter un drôle de regard pour la deuxième.

Le plomb en or, rien que ça…

Avec un air plus réfléchi qu'il n'en avait fait montre jusqu'à maintenant, il jeta un coup d'œil à l'objet de la demande, plus pour prendre le temps de décider de la marche à suivre que parce que l'anneau lui rappelait vaguement, très vaguement quelque chose. Pourtant comme l'inspiration d'un comédien vient de la trame de la pièce, l'improvisation restait encore assez neutre, la décision toujours en balance… qui bascula.

Se frottant le menton d'un air presque gêné, Lacryma avait décidé de ne pas relevé l'assurance qu'avait l'Orgueilleuse de trouver un alchimiste capable du Grand Œuvre, la nuit Place St Marc. Ylania ressemblait de toute manière, et à bien des égards, à une petite fille (comme ça avait été adorable cette petite moue provoquée par un alcool trop fort…) et le contraste avec son attirant corps de femme et les manières qu'elle se donnait était selon lui à l'origine du ridicule qui accompagnait si souvent Vanité.

Croyez-vous ma Dame, que capable de ce que vous me demandez là, j'erre encore dans les rues de Venise comme je fais ? Ou que le prix le plus exorbitant que vous m'offriez puisse avoir un quelconque intérêt quand je pourrais m'offrir toutes les richesses qui me feraient envie ?…

Les choses commençaient de se corser, loin de lui l'envie de trop en révéler trop vite. En revanche en apprendre… C'est qu'il était de plus en plus difficile de suivre les évolutions des autres alchimistes, les arrivées d'immortels, l'avancée de chasseurs de chasseurs. Les temps n'étaient plus au danger direct, mais aux aléas vicieux de la Fortune et aux pièges délicatement miellés. Pas comme lorsqu'il était supposé être âgé de vingt ans, qu'il allait alors commettre ce qu'on qualifiait de crimes. Cependant, moins il épanchait sa soif et plus elle était furieuse, l'empêchant de se contenter du sang délicieux, désirant en plus la peur, puis la douleur, puis la frayeur, puis la souffrance, plus tard viendrait, la résignation, l'horreur et enfin il boirait le désespoir jusqu'à la lie. Ah quelle intensité divine !

L'idée lui vint d'elle-même, comme si elle avait toujours été là, attendant simplement qu'on passe le doigt dessus. Ma bonne Dame Lune, que vous êtes bien chanceuse d'être spectatrice en si bonne place ! A vous dédier nos actes, vraiment ! A espérer votre affection que vous nous indiquiez l'arrivée des méchants.
S'il n'avait pas tant apprécié le Jeu avec tout son lot d'adrénaline, de risques et de plaisirs, à coup sûr il se serait arrangé une place au côté de l'Astre pour profiter de toutes les tragédies, comédies, drames tristes, burlesques, cette masse grouillante, comme un tableau trop grand dont on ne veut pas manquer le moindre détail.

Je regrette très sincèrement de ne pas être capable de réaliser vos désirs.. Personnellement.. Du moins…. Enfin….

Lacryma leva les yeux vers ceux de son interlocutrice, comme cherchant une assurance, jouant désormais l'hésitant au lieu de l'être pour vrai, l'homme qui est pris de l'envie de parler, de révéler une information très intéressante mais qui n'ose pas : la lèvre imperceptiblement mordillée, les sourcils froncés, le regard dur mais cillant, les mains nerveuses. Mais derrière ce voile d'incertitudes il ne perdait pas une miette du spectacle que lui offrait l'Orgueilleuse, pas par voyeurisme, bien que ce fut un défaut parfaitement assumé, mais pour une fois, pour ne pas faire de faux pas. Allusion lancée, dans l'eau ou touchée ?

[HRP : A mon tour de m'excuser, mais j'ai beaucoup de moins de temps pour faire un beau message, et je préfère quand même éviter de laisser poireauter quelqu'un trop longtemps... donc...]

-Ne soyez pas désolé, je vous en prie. C'est moi qui regrette de ne pas pouvoir vous payer en gemmes rares et raffinées qui valent Ô bien plus que l'Or !

Ylania remonta ses jupons avant de regarder avec un oeil consterné la glace tout autour d'elle. Ses sourcils se froncèrent et elle regarda une fois de plus les chaussures cloutées de son interlocuteur tout en se mordant nerveusement les lèvres. Elle finit par soupirer avant de se rendre à l'évidence: elle ne pourrait certainement pas quitter la place sans se priver d'une autre paire de bleus. Toutefois elle repris vite le sourire et tortilla nerveusement le cordon de sa bourse qui pendait fièrement au côté de sa toilette.

-Je pense que si vraiment vous pouviez changer tout métal en or alors vous ne vous pavaneriez pas de peur que l'on découvre votre secret et que l'on vous vole la précieuse pierre...

Cette dernière remarque emplie de malice témoignait du véritable doute que cultivait Ylania sur la véracité des dires de l'alchimiste. Comment cet homme pouvait bien gagner sa vie et s'acheter des chaussures cloutées s'il n'était pas capable de changer quoi que ce soit en métal si précieu ? Soudain, une boule d'angoisse monta dans la gorge de la jeune femme qui dissimula sa bourse rapidemment sous les volants de son bustier. L'homme était sans doute un voleur, un escroc, un tueur même ? D'avance l'orgueilleuse s'imaginait au sol, le ventre trouvé d'une lame et les yeux hors de ses orbites. Elle ne voulait sûrement pas rejoindre les Enfers dans cet état... Cet état ? Elle en publierait presque que ce corps hyalin n'était pas le sien tant elle l'aimait et s'y était habituée.
*J'aurais dû venir avec mon paon...* pensa-t-elle rageusement.
Elle ricana intérieurement en pansant à l'oiseau picorant avidement le derrière de Lacryma tout en jacassant et hurlant de colère.
La lune fut soudainement cachée par un nuage et la Dame Holleinstein leva les bras au ciel:

-Non ! Elle n'a pas le droit de m'abandonner ! Qui serait témoin de ma perte si elle part ainsi ?

La Dame se rendit soudainement compte qu'elle avait parlé plus fort que ce qu'elle l'avait désiré et rougit violemment. L'homme s'amuserait certainement plusieurs siècle à la pensée de cette scène ridicule. Elle baissa les yeux et murmura:

-Pouvez-vous m'aider à aller sous les arches, là où le gel n'a pas souillé le sol ? Je crains de ne pas pouvoir rejoindre seule de façon sécurisée le sol sec...

- Oui elle est capricieuse, mais c'est la Lune, on ne peut pas attendre autre chose de l'étoile des Fous.

Il soupira.

- Non, j'aimerais bien craindre de perdre cette fameuse pierre, mais je n'ai rien en ma possession capable de tels prodiges. Mais…

De nouveau il marqua une pause, comme pas encore tout à fait sûr.

- Si vous êtes aussi sûre qu'Elle se trouve à Venise, je suppose que vous avez eu vent de quelques… évènements. Et je ne suis peut-être pas le premier à qui vous demander de donner de la valeur à votre anneau. Je ne peux pas faire grand chose moi-même, cependant, je pourrais… hmm.. servir d'intermédiaire. Avec commission bien sûr, les temps ne sont pas faciles, vous savez. Je pense bien pouvoir trouver quelqu'un qui saurait vous rendre le service que vous voulez, ma bonne Dame, seulement, ce n'est pas un bonhomme très ouvert.. Pas vraiment le genre bavard, voyez ? Le genre, comme vous dites à ne pas se pavaner. Et puis il n'a pas besoin d'argent. Maintenant, il n'arrête pas de demander des nouvelles, il me demande des renseignements sur certains types de personnes, alors… Je ne suis pas censé faire ça mais je pense que nous pourrions trouver notre compte tous les deux à les lui donner. Enfin… Si vous y mettez le prix pour moi aussi, j'entends. Lui me paie déjà de connaissances.

Ses yeux contemplèrent brièvement la bourse bien dodue de l'Orgueilleuse. Comme il était facile d'imiter un regard avide de richesses et de savoirs, c'était si commun et en même temps si diversifié… Et puis au fond, la soif de connaissances ne lui était pas étrangère, simplement que rares étaient ceux qui détenaient quelque chose qu'il ne fut pas en mesure de s'approprier par lui-même et que par conséquent, il ne l'assouvissait pas de la même manière. Quant à sa réponse et à sa proposition, elles s'expliquaient du fait qu'il n'y avait encore que peu de personnes, en dehors du cercle des membres de la Maschera, à qui il aurait révélé être capable de ce dont seul celui qui avait accès à la Bible Profane était en mesure de réaliser. A ce sujet, il lui était arrivé parfois de rêver avec amusement à sa destruction, il aurait été tellement divertissant de voir tout ce petit monde à la recherche de quelque chose qui n'aurait plus existé. Seulement, c'aurait été comme de détruire l'emblème de la non-omnipotence divine, d'une beauté telle que celle des forêts vierges de la présence des hommes, des flots jamais parcourues par leurs navires, de pics jamais atteints par leurs mains. Tiens, à peu qu'il en devienne mélancolique, combien de temps encore avant que l'humain ne finisse par toucher ces merveilles, les faire disparaître ?

De grasses voix masculines, un rire féminin trop haut perché et trop enthousiaste pour que l'alcool n'y ait pas mis la patte. Lacryma faisait comme si la requête d'Ylania concernant la traversée de la patinoire de St Marc, pourtant si compréhensible, ne lui était jamais parvenue aux oreilles. Il était tout à fait plausible qu'il la plante là si la réponse de Vanité ne lui convenait pas. Dans la Sérénissime que les rumeurs pestilentielles n'avaient pas encore atteinte, messer Cortorella ne prenait pour l'instant que peu de risques, le temps des aveux s'il devait venir n'était pas encore là. Le nuage étant passé, la Lune de nouveau pouvait apprécier le spectacle.

- Alors ?

-Vous avez sans doute raison.

Ylania reprit son sourire assurée et examina les nuages menaçants. Pourvu qu'il ne pleuve pas, pourvu que le vent ne se lève pas, pourvu enfin que la basilique San Marco cesse de se pencher sur elle pour boire ses paroles. L'édifice avait une ombre impressionnante qui s'écrasait impitoyablement sur la place, semblant jouer les coudes avec le Palais des Doges pour gagner de l'espace. Concentrée, l'orgueilleuse écoutait la tirade de son interlocuteur et plongea son regard dans le sien. Elle ne s'était pas attendue à moins et garda un moment le silence, interloquée. Un vieillard ? Bien entendu, les vieux sages connaissaient toutes les failles du Monde à ce qu'il paraissait mais les virées d'Ylania étaient sur Terre bien trop courtes pour qu'elle aie put incarner un tas de rides. Elle écouta distraitement un groupe de jeunes gens qui ne parurent pas les remarquer quand Lacryma la fit sursauter:

-Alors ?

-Alors...

La jeune femme baissa les yeux et serra dans sa main gantée l'anneau qui lui était si ptécieux. Le vent finit tout de même par se lever et Ylania se fit violence pour ne pas lâcher un juron incongru. Elle se contenta de serrer sa robe pour lui éviter un envol mal vu et finit tout de même par répondre.

-Alors j'accepte votre proposition. Toutefois il est dans votre interêt que vous soyez un homme de parole... J'espère que vous ne me trahirez pas car vous risqueriez de le regretter. Pour ma part je m'engage à vous payer... Un bon pesant de diamants.

Plus chic que l'or, la gemme translucide était devenue monnaie de mode dans les profondeurs de la Géhenne et il fallait dire que les avares en avaient des coffres regorgeants. Il ne fallait pas se demander d'où l'orgueilleuse tenait son stock et cette pensée lui tira un sourire en coin. Elle lui en ramènerait bien une cassette pleine ! Ce geste valait bien celà. Les jeunes gens repassèrent et la jeune femme qui semblait si digne oublia cruellement sa classe et volit sur le pavé. D'un air indigné l'orgueilleuse regarda la scène avec une grimace de dégoût, recula d'un pas et retomba lourdement sur le sol. Sa capuche se défit par la même occasion découvrant un croissant violet d'un éclat incroyable. L'un des jeunes gens la montra du doigt:

-Hé les gars ! Je la connais ! Mon petit frère passe son temps à la suivre ! Il parait que c'est une commedienne estraordinaire qui a le don de faire rire les gens jusqu'au fin fond des rues !

Ylania irritée remit immédiatement sa capuche.

-Fichtre ! Je ne connais point ces gens... Ce qu'ils peuvent être malpropres et pauvres en politesse ! Je vous en prie, aidez-moi à me relever, je ne pense pas le pouvoir seule...

Ses iris avaient brillé comme si elles reflétaient déjà les gemmes promises. Il aurait fait un parfait petit adepte de l'Avarice à ce moment précis, si seulement il ne s'était fichu comme d'une guigne de ces cailloux, fort jolis certes, mais sans autre intérêt. Sa main s'était placée à l'emplacement de son cœur un peu plus tôt lorsque la menace de l'Orgueilleuse avait été exprimée, et malgré la lueur pingre qui scintillait désormais dans ses prunelles, Lacryma avait pris un air grave.

- Aucune crainte ne doit vous faire douter de ma loyauté dans cet accord, Madame. Je connais bien la valeur d'un marché, et quiconque prétendra que je n'ai pas rempli les termes d'un contrat mentira.

… Ou aura été victime de sa propre stupidité, car il était passé tellement Maître dans l'art de brouiller toute transaction passée, d'arriver à respecter sa part tout en parvenant à dépouiller par-dessus son adversaire que cette réputation avait atteint les oreilles des mortels sous forme d'innombrables légendes ou tous les signeurs de pactes finissaient toujours par faire les frais de leurs ambitions quand Lucifer n'avait fait que de s'amuser.

Il s'était apprêté à enchaîner, pour justement préciser quels seraient leurs devoirs l'un envers l'autre quand la violette Vanité chuta comme à son habitude face aux élégantes régurgitations de l'enivrée jeunes fille. Impossible de s'en empêcher, l'alchimiste leva un bref regard vers la Lune, vérifiant si elle avait pu profiter du spectacle et de fait, celle-ci semblait cacher son rire derrière quelques voiles de nuages à la manière de ses dames qui dissimulent leurs sentiments derrière leurs éventails. Ses lèvres esquissèrent un très bref sourire complice qui disparut avec les exclamations aux accents alcoolisés des autres spectateurs.

Son visage avait pris une neutralité polie lorsqu'il s'accroupit avec souplesse auprès de cette Orgueilleuse que le manque de chance rendait dans un sens fort attachante (à rendre le sourire au pire ennemi du rire d'Aristote, pourvu qu'il ne soit aveugle, naturellement), ses yeux vaquant entre elle et les jeunes ivrognes qui seraient fort chanceux de tomber dans un caniveau plutôt qu'un canal.

- Si je puis me permettre, mieux vaut attendre qu'ils s'en aillent. Le sol est si glissant que vous aider à vous remettre droite pourrait porter un coup à votre dignité. Nous n'aimerions pas leur offrir tel spectacle, n'est-ce pas ?

Sa main gantée s'ouvrit, paume vers le ciel mais ne se tendit pas, comme si par le geste qu'il attendait d'elle, ils scelleraient définitivement leur accordance.

- Allons, donnez-moi donc votre anneau. Je me charge de convaincre qui vous savez d'en faire l'or le plus pur qui soit. Et je vous le rendrai sitôt que vous m'aurez fait parvenir ces informations dont nous parlions. Il s'agirait de quelque travail d'investigation auquel je n'ai malheureusement pas le temps de me consacrer. L'ami dont je vous parle craint la présence d'autres alchimistes, vous vous doutez bien de la raison, mais aussi de ces sorciers un peu remuants. Enfin s'il vous venait aux oreilles des ouïs-dire au sujet de ce mystérieux monstre qui tue tant de nos concitoyens, alors soyez assurée que je saurai vous en remercier.

Secoués de rires aigus ou gras, les pochards s'éloignèrent de cette démarche typique à la fois assurée et zigzagante, jetant de tant à autres des regards à la Von Holleinstein Bifield, et lâchant quelques remarques qui devaient être drôles pour des esprits saoulés mais qui finissaient par se perdre dans la rue qu'ils choisirent de prendre. A moins que ce ne fut celle qui se fut fort opportunément trouvée sur leur route ?

-Un monstre ?

Toujours au sol, l'Orgueuilleuse avait été surprise par ces paroles. Il fallait dire qu'elle n'avait pas bien mis en état dans son esprit ce que lui demandait Lacryma, peut-être avait-elle tout simplement pensé que ce dernier lui demanderait de rechercher la pierre philosophale... Il fallait dire que la Dame Violette avait son idée quant à sa localisation... Mais la demande était bien différente maintenant. Oui, bien entendu, on lui demandait de chercher des renseignements pour éclairer les lubies d'un vieil homme, ce qui serait sans doute encore plus drôle. Elle n'aurait au moins pas à se frotter à Asphodelle, ce dernier sans doute avait une folie aigue contagieuse qu'elle n'aurait sous aucun prétexte désiré de contracter.
Le gel sous les mains d'Ylania lui brûlait la peau et elle se recroquevilla lentement sous la brise glaciale qui se leva sans avertir tout en cachant la pâleur de la lune cachée.

-Vous pensez vraiment que c'est un monstre, vous ?

L'avis de l'Orgueilleuse aurait davantage penché pour une forme immatérielle, ou une armée de cette forme qui se chargerait de venger cette dernière... Une chose était sûre, en tant que démon elle ne piuvait être ennemi à ce genre de maléfice et cette idée la fit sourire. Elle irait en toucher quelques mots à Bélial même si ce dernier ne montrait aucune sympathie envers elle. Pfeuh, sans doute un jalous de plus ! Une goutte de pluie dans les eaux de Venise, aucune importance en somme.
Les jeunes gens partirent en titubant tout en riant et se cognant contre les murs. Il n'y avait aucune propreté humaine, ni dans les bas fond, ni dans les grands salons à la mode qui n'étaient bien vus que par les gens ne les ayant jamais fréquentés. Ylania n'avait jamais vu autant de débauche que chez les riches, et dire que ces mêmes gens se donnant au vice se rendaient pieux le dimanche au lancer de la messe. Le curé en pauvre Saint persuadé de l'innocence de ses fidèles leur donnait l'ostie avec un sourire complaisant et vantait leur vertu aux quatre coins des rues. Ah ! la belle vertu que voilà ! Si ils mourraient, c'était bien de leur faute car l'humanité était un monstre à elle toute seule. Mais trève de pensées, le pacte était lancé et un bouc émissaire serait trouvé. Il faudrait faire le tour des vénitiens, spéculer quite à enivrer. Le sprochains jours se présentaient emplis et interessant. Pour peu, elle aurait sauté au cou de Lacryma pour le remercier de donner un sens à sa mission terrienne.

-Et maintenant que tout le monde est parti, vous résolvez-vous enfin à me relever ?

La femme en Violet eut une petite mine boudeuse, puis relevant les yeux sur son interlocuteur elle lui fit un large sourire complice.

-Si je trouve quelque chose sur votre homme, je vous enverrais discrètement un message par un coursier. Vous le reconnaitrez facilement, c'est un grand homme noir tout de blanc vêtu... Un vrai prince digne de ma maison !

- Quoi d'autre ? Aucun homme n'est capable d'une telle barbarie. Foutredieu, les cadavres n'avaient plus une goutte de sang…

Mélange de chuchotements et de grommellement dont les méditerranéens usaient beaucoup quand il s'agissait de parler de sombres choses inconnues. Lacryma s'amusait toujours à en imiter le timbre grave, le débit rapide, les jurons bien sentis. Il n'eut cependant pas l'occasion de jouer d'exagérations car l'Orgueilleuse l'interrompait par son désir, fort compréhensible par ailleurs, de retrouver une position plus digne et moins réfrigérante.

Rapidement, il jeta un œil au petit attroupement, mais celui-ci étant définitivement sorti de son champ de vision, il glissa un bras ferme sous les aisselles de Vanité et sous son dos, pris bon appui sur ses propres jambes et la souleva. Oh il aurait été très hypocrite de prétendre que le regard coulant n'était destiné qu'à la gorge, et que touchant ce que le décolleté révélait ce n'était qu'une feinte. De toute manière personne ne pouvait voir son visage pour y déceler l'expression approbatrice, le bref et léger sourire de chat au soleil. Comme il se devait, il ne montra aucun effort qui aurait été pris par toute dame comme une offense à sa légèreté, même si un homme normal y aurait trouvé quelques difficultés : non pas dues au poids de la Dame Violette, mais plutôt à celui de tout l'attirail qui composait sa toilette. Le croissant de cheveux était assez impressionnant pour peser aussi dans la balance d'ailleurs.

- Un maure ? Et vêtu de blanc ? C'est voyant Ma Dame, je ne doute pas qu'il fasse preuve d'une noblesse d'allure tout à l'honneur de votre maison, mais… N'auriez-vous pas à votre service quelque valet à l'élégance plus discrète ? Que j'identifierai à l'aide d'un bijou reconnaissable mais de peu de valeur, une boucle de ceinturon particulière, ou même, je ne sais pas, une cicatrice, des yeux vairons…

Toujours gantée, sa main glissa sous celle de l'Orgueilleuse, soutenant cette fois son bras, prêt à l'aider comme elle en avait fait la demande, à rejoindre l'abri que formaient les arches en bordure de la place, adressant une excuse muette à la Lune pour être sur le point de La priver de la vue d'un de Ses personnages préférés. Les premiers pas qu'il fit étaient volontairement lents, d'abord pour s'assurer que Dame Vanité suivait bien, ensuite qu'elle ne tombait pas.

- Enfin quoi qu'il en soit, permettez-moi d'insister. J'ai besoin de votre anneau maintenant. J'ignore combien de temps nécessitera l'opération, l'homme dont je vous ai parlé n'a jamais cru bon de m'informer des détails. Mais si cela s'avérait être œuvre de longue haleine… Mieux vaudrait commencer au plus vite, ne pensez-vous pas ?

En vérité, Lacryma avait surtout remarqué le prix que semblait attacher l'Orgueilleuse à ce petit bijou et se disait qu'il était toujours bon de posséder un objet qui servirait peut-être de pression si nécessaire. De plus, plus il y songeait et plus l'anneau lui rappelait quelque chose. Mais enfin il avait vu tant de bagues qu'il ne se rappelait naturellement plus de chacune d'entre elles ni de ce qu'il avait fait de celles qu'il avait possédées. La seule chose dont il fut certain c'est que ce n'était pas l'un des bijoux auxquels était attaché un quelconque pouvoir, ceux-là il en avait gravé le dessin dans sa mémoire. A se demander vraiment pourquoi la Dame Violette y accordait tant d'importance…

Ylania marmonna quelques paroles de remerciements, heureuse d'être en fin en lieu sûr et debout. Ses fesses mouillées la faisaient frissoner mais elle se consola: dans la nuit personne ne s'apercevrait de cette faute de toilette. Il était bientôt temps de rentrer et la perception d'un sommeil bien mérité lui enchantait le coeur. Cette nuit était peut-être le commencement de son ascension... Ou pas. De toute façon si encore elle échouait elle n'aurait qu'à tenter un autre plan. Changer de plan pour faire entendre da suprématie... C'était l'enjeu jamais réalisé de toutes ses vies. Combien en avait-elle eu déjà ? Elle n'osa les compter, trop honteuse sans doute pour s'avouer que depuis que l'Humanité existe toutes ses missions n'avaient été qu'échecs. Mais maintenant, c'était bel et bien terminé. Le chef de la Géhenne avait disparu, il faudrait être digne pour le retrouver...
La description des démons selon Lacryma emplit de surprise l'expression de l'Orgueilleuse. Mais bien entendu ! Comment ne l'avait-elle pas deviné plus tôt ? Mais elle ne pouvait se vendre personnellement. Méfiance ! Puis les vampires n'étaient pas des monstres ! Oh non ! Ils étaient les dignes serviteurs du Malin, des personnes très bien éduquées et exquises qui ne faisaient qu'écourter l'horreur de l'Humanité en nourissant leurs cauchemars. C'était beau, inégalable et chacun devraient les remercier au lieu de leur jeter la pierre ! D'un air entendu la Holleinstein hocha la tête dans un signe entendu et sortit l'anneau, le protégeant dans ses mains. On ne sait jamais ! Il pourrait rouiller au contact du grand froid et si jamais l'objet n'était pas en or la rouille serait alors irréversible !

-Prenez-en grand soin je vous prie ! Il n'a aucune valeur mis à part sentimentale... N'espérez pas y trouver une vertu interessante... Cependant vous pouvez toujours essayer d'en chercher si vous vous ennuyez en écoutant les histoires de votre vieux monsieur ! Pour le page, je vous enverrais alors mon page blanc vêtu de noir... Mais je vous préviens, ne lui adressez pas la parole ! En une seule phrase ce monsieur a le don de vous démoraliser pour au moins de lmongs jours.

La dernière fois que Rodolphe (le messager blanc) avait parlé à son paon ce dernier n'avait pas fait la roue durant une semaine, ce qui lui valut quelques coups de fouets et l'interdiction de faire entendre sa voix dans l'Hôtel Particulier Von Holleinstein Bifield. Cependant à l'extérieur elle ne lui avait jamais donné de recommandations particulière, cependant elle prévenait ses interlocuteurs quand elle savait que ces derniers auraient affaire au démoralisateur. Maintenant, elle ne se sentirais pas fautive de la tristesse de Lacryma, il lui parlerait s'il voulait, mais en connaissance de cause ! Après un moment d'hésitation Ylania plongea ses yeux dans ceux de l'alchimiste et mit ses poings sur ses hanches voluptueuses.

-Les chauves-souris doivent être nombreuses dans le coin pour réussir à vider de leur sang un humain ! Je vous en chasserais une dizaine à analyser !

Quelle ridicule riposte, et tant pis ! Il fallait absolument que l'homme pense qu'elle ignorait totalement l'existence des vampires. Un bruit se fit entendre derrière une colonne. Une tête blanche se montra derrière le dos de Lacryma et Ylania reconnut le paon. Ce dernier sans doute s'inquiétait de sa longue absence et dans un soudain élan d'adrénaline l'Orgueilleuse embrassa rapidemment l'alchimiste sur la joue avec un air enfantin de petite fille remerciant son père.

-Je tâcherais d'être rapide Monsieur ! Je dois partir... Je vous envoie sous peu des nouvelles !

La jeune femme se dépécha de s'éloigner, faisant claquer les pierres froides sous ses talons, suivant avec précipitation l'oiseau blanc qui lui servait de guide. Bientôt, elle disparut dans l'obscurité.